Chants traditionnels de l'Espagne

et des Îles Canaries




Les musiques et les chants traditionnels de l'Espagne et des Îles Canaries au-delà de leur conservation sous forme de manifestation folklorique sont un véritable patrimoine de l'humanité dont certaines racines remontent jusqu'à l'Antiquité.
Plutôt qu'une simple localisation géographique et historique, nous avons cherché dans ce florilège à privilégier des pièces qui touchent le cœur ou éveillent l'âme de ceux qui les écoutent, au-delà de tout préjugé.




La Luna clara y serena


Le premier chant que nous vous présentons a été recueilli dans l'île de Gomera aux Canaries ; il est fascinant dans sa simplicité archaïque par plusieurs aspects.
Son caractère modal et en particulier son mode mixolydien qui selon Aristoxène aurait été inventé par Sappho musicienne et poétesse du VIIème siècle avant JC, était considéré à l'époque comme exprimant la magnificence et la dignité majestueuse. Il est intéressant de constater qu'à notre époque, il rend hommage à la Vierge de Guadalupe vénérée depuis des siècles dans l'île de Gomera.
L'utilisation de chacaras accompagnant le tambour confirme l'origine très ancienne de ces chants que certains attribuent aux Guanches des Canaries, peuple autochtone existant avant la colonisation de ces îles.
En effet, les chacaras sont une sorte de grosses castagnettes archaïques faites le plus souvent dans les bois locaux comme le viñatigo ou le barbusano.
Cet instrument de percussion dont le son évoque le sabot du cheval, est un intermédiaire entre les pierres frappées de la Préhistoire et les castagnettes actuelles espagnoles.
Ces chants sont généralement improvisés et évoquent souvent cette Vierge que l’on pense être la protectrice des marins, d'où le refrain qui répète au cours de la chanson : "la lune claire et sereine est bonne pour naviguer".








El fandango de Yecla


Le fandango est une des plus belles expressions du chant populaire espagnol et caractérise plus particulièrement l'Espagne du Sud.
Ce fandango de Yecla, ville de la province de Murcie, est célèbre à Yecla où parfois la population le danse dans des files interminables dans les rues de la ville. En plus de ses coplas qui évoquent la danse et l'amour dans des métaphores savoureuses, on y retrouve le génie du fandango dans lequel les harmonies du mode majeur se terminent soudain par la chute saisissante du mode phrygien qui enflamme les cœurs.






Aires de Lima de Valsequillo


Ce chant profond et plein de sentiments est chanté et dansé à Gran Canaria. Ses paroles évoquent comment un couple porté par l'amour peut parvenir à être "nous" sans cesser d'être "toi et moi" et comment les yeux peuvent dire ce que le cœur ressent. Il est accompagné au timple, instrument typiquement canarien qui était à l'origine une petite vihuela de voyage importée d'Espagne par un marin et qui a séduit les Canariens.
Des Canaries il a voyagé jusqu'en Amérique du Sud où il a inspiré la fabrication du charango des populations andines.
L' autre instrument qui accompagne ce chant est le tiple, lui aussi d'origine espagnole ; amené en Amérique du sud à l’époque de l’Empire espagnol, il est maintenant devenu l'instrument national de Colombie.






El Cerandeo


Voilà un autre chant typiquement modal, donc remontant au moins à l’époque médiévale. Il est chanté et dansé en Estrémadure. Son nom est une déformation du mot zarandeo qui évoque la séparation du blé de l’ivraie par un tamis. L’ivraie est une plante dont le nom latin est "ebrietas", plante qui produit l’ébriété ou l’ivresse, et le nom grec "zizanion" qui a donné "zizanie". En espagnol l’ivraie se dit aussi cizaña. La pratique de semer la zizanie ne signifie pas seulement produire une division mais signifie, dans son origine, semer une plante poison dans le champ d’autrui. Cette pratique criminelle était répandue à l’époque puisque l’Empereur Justinien Ier a édicté une loi l’interdisant et la réprimant dans le Digesta ou Pandèctes en grec ancien.
Les coplas étant libres et souvent improvisées, qui pourrait dire comment ces airs ont pu être chantés à des époques anciennes ? De même les danses qui se pratiquent encore de nos jours ont pu être bien différentes par le passé, les traditions populaires étant, contrairement aux musiques écrites académiques et figées, des créations permanentes qui évoluent au cours du temps sous l’inspiration d’individus ou de groupes influents.
Certains pensent que des âmes qui ont vécu dans d’autres époques peuvent être attirées par des chants qu’elles ont entendus au cours de leur vie. Peut-être est-ce pour cela qu’au moment de chanter une copla sur les fêtes du carnaval une dame du temps passé apparaît soudain dans notre vidéo? D’ailleurs ces apparitions mystérieuses de danseurs aux pieds qui parlent se renouvelleront dans plusieurs chants ultérieurs que nous allons vous présenter.





El Ramilletillo


Il arrive que certaines personnes entraînées par les occupations de leur vie nous disent qu’elles regrettent de ne pas avoir eu le temps d’étudier la musique et d’apprendre un instrument. Eh bien qu’elles se rassurent, il n’est pas trop tard. En cherchant un peu dans votre cuisine vous trouverez sans doute un almirez, un instrument que vous possédiez sans savoir qu’il fait partie des instruments traditionnels du folklore espagnol. Vous n’aurez pas besoin de suivre des cours pendant des années au Conservatoire pour apprendre à en jouer. Regardez plutôt et écoutez cet almirez, ce mortier de cuisine en cuivre, dont vous avez sans doute joué sans le savoir, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose lui aussi sans le savoir, et qui accompagne avec la guitare ancienne ce chant de Ségovie.





El Bolero de Algodre


Comment ne pas être envoûté par la magie de ce chant de la province de Zamora dont les paroles mystérieuses se prêtent à de nombreuses interprétations. "Un corps salé n’a plus de désir... O ciel, le monde ne tourne pas rond... Rien ne peut ramener l’affection d’un amour trompé... Balaie la rue, le Christ et sa mère vont passer par là, ay ay ay..."
De toute évidence le rythme de ce chant est fait pour accompagner des processions, mais pouvons-nous pénétrer tout le mystère de ces airs dont la dimension spirituelle ne fait pourtant guère de doute ?




El Caracol


Retournons aux Canaries avec un chant plus récent, qui utilise alternativement le mode mineur et majeur. La première partie philosophe sur le caractère particulier de la femme et la seconde invite à la danse et à la gaieté. Nous retrouvons en accompagnement le timple, petit instrument à cinq cordes de nylon et le tiple, instrument à quatre cordes triplées métalliques.




La Clara


Voici un chant de la province de Salamanque qui évoque l’histoire d’une femme, Clara, (Claire) dont la vie n’était guère conforme aux critères de l’époque. L’histoire raconte qu’elle abandonne son fiancé Albardero, qu’elle se laisse courtiser par tous les garçons, qu’elle se fait remarquer au bal où elle attire beaucoup de monde autour d’elle et qu’à l’église elle demande pardon. Mais qu’a-t-elle à se faire pardonner ? En cherchant dans les archives de l’époque on apprend qu’elle aurait été enceinte avant de se marier et qu’elle aurait épousé un riche propriétaire pour ne pas tomber dans la honte des filles mères de l’époque. En somme une histoire assez commune mais qui nous a donné un chant sur un air enlevé et aux belles harmonies typiquement espagnoles qui enchantent l’oreille et entraînent à la danse.




Santo Domingo


De retour aux Canaries, nous retrouvons le tambour et les chacaras avec cette fois un chant en l’honneur de Santo Domingo en mode ionien. Sans entrer dans les légendes de ce saint, il nous a semblé intéressant de noter que "domingo" en espagnol signifie dimanche; en anglais dimanche est "Sunday", le jour du soleil, évoquant les rites païens des cultes au soleil, de même que le samedi, "sabado" en espagnol, évoquant le jour du sabbat, est "Saturday" en anglais, le jour dédié à Saturne évoquant aussi les rites païens des cultes à Saturne.
En imaginant que cet air ait pu être chanté par des peuples autochtones comme un chant sacré au soleil avant d’être repris par la religion catholique, lors de la colonisation de l’île comme un chant invoquant un Saint, nous avons choisi de le chanter juste au coucher du soleil, le chant se terminant au moment précis où le dernier rayon de soleil disparaît à l’horizon.




El Vito


El Vito est un de ces chants mythiques entre légende et réalité, par lequel on a cherché à transcender certains épisodes dramatiques de l’histoire comme le martyr de San Vito qui se serait mis à danser quand on cherchait à le brûler, ou plus tard les empoisonnements collectifs à la suite desquels les malheureux ne supportant pas les brûlures du poison dansaient jusqu’à la mort. Plus tard, curieusement, lors de la guerre civile espagnole, ce chant a été repris par la milice du cinquième régiment républicain. C'est à cette époque qu'un groupe de criminels infiltrés dans l'armée républicaine par les puissances occultes qui fomentent bien souvent les guerres, a massacré ou brûlé dans des églises des milliers de prêtres et de religieuses. Beaucoup d'entre eux d'ailleurs avaient déjà perpétré le massacre de centaines de milliers de chrétiens orthodoxes sous couvert de la révolution russe. Les légendes et les mythes qui se créent autour des moments douloureux de l’histoire tentent de rendre ces terribles drames plus supportables pour l’humain.
En fait, ce qui fait l’objet de notre travail, c’est la valeur même de ce chant traditionnel qui n’est pas responsable de l’utilisation que l’on en a fait mais qui a ses propres qualités originelles. Il s’agit dans le cas du Vito d’un chant vivant et dynamisant de style andalou qui mérite sa place dans le patrimoine musical espagnol.




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